L'écclésiaste un temps pour tout - Traduit de l'hébreu, présenté et commenté par Ernest Renan - ISBN: 978-2-363-08002-8
L'insensé se croise les mains
Et vie de sa propre substance
Mieux vaut une poignée de bonheur calme que les deux mains pleines de labeur et de vains soucis.
Réprime les empressements de ta bouche, et que ton coeur ne se hâte pas de proférer des promesses en présence de Dieu ; car Dieu est dans le ciel et, toi, tu es sur la Terre. Que tes paroles soient donc en petit nombre.
Les sondes, en effet, viennent à tout propos,
La voix du sot se perd en un flot de paroles.
Quand tu as fait un voeu à Dieu, ne tarde pas à l'accomplir ; Dieu n'aime pas les sots. Acquitte ce que tu as voué ; mieux vaut ne pas faire de voeux que d'en faire et de ne pas les accomplir. Ne permets pas à ta propre bouche de te constituer pécheur [...]
Doux est le sommeil du laboureur, qu'il mange peu ou beaucoup, tandis que la satiété ne permet pas au riche de dormir.
Mon avis est donc que le meilleir parti pour l'homme est de manger, de boire et de jouir du fruit des peines qu'il s'est données sous le soleil durant le nombre de jours que Dieu lui a compté.
Mieux vaut vivre à sa guise que de s'exténuer. Trop de vertu est aussi une vanité, une patûre de vent.
Jouis du présent ; une fois mort, en effet, l'homme ne trouvera rien après lui.
La perfection c'estm tout en s'attachant à un principe, de ne pas lâcher le principe opposé.
Un esprit sage sait discerner le momenet favorable et la manière de s'y prendre ; car, en toute chosem il y a le moment favorable et la manière de s'y prendre.
Voilà le plus grand mal qu'il y ait sous le soleil : c'est qu'il n'y ait qu'une même destinée pour tous. Voilà pourquoi l'âme des enfants d'Adam est pleine de méchanceté.
Toute affaire qui se présente à la porté de ta main, fais-la vite ; car il n'y aura ni activité, ni pensée, ni savoir, ni sagesse dans le schéol vers lequel se dirigent tous tes pas.
Les circonstances et le hasard règent tout, et l'homme ne connaît pas plus l'heure de sa destinée que les poissons pris au piège. Comme eux, les fils d'Adam sont engagés dans les filets pour l'heure fatale qui tombe sur eux à l'improviste.
La voix du sage, écoutée en silence,
Vaut mieux que les clameurs du roi des étourdis.
Il faut savoitr se tenir. Si la colère du souverain s'allume contre toi, ne quitte pas trop vite ta palce ; car, si on se lève trop vite, on donne lieur de croire qu'on a commis de grand méfaits.
Qui sur le vent trop délibère
Perd le moment d'ensemencer ;
Qui toujours le ciel considère
Manque l'heure de moissonner.
Si un homme vit de nombreuses années toujours en joue, qu'il n'oublie pas que les jours sombres viendront et seront plus nombreux que les jours écoulés. Tout est vanité.
"Tout est vanité." Tel est le résumé, vingt fois répété, de l'ouvrage. Le livre se compose d'une suite de petits paragraphes, dont chacun contient une observation, une façon d'envisager la vie humaine, dont la conclusion est l'universelle frivolité. Cette conclusion, l'auteur la tire des expériences les plus diverses. Il s'y complaît ; il en fait le rythme et le refrain de sa pensée. Le monde présente à ses yeux une série de phénomènes, toujours les mêmes et roulant les uns après les autres dans une sorte de cercle. Nul progrès. Le passé a ressemblé au présent ; le présent ressemble à ce que sera l'avenir. Le présent est mauvais, le passé ne valait pas mieux, l'avenir ne sera pas préférable. Toute tentative pour améliorer les choses humaines est chimérique, l'homme étant incurablement borné dans ses facultés et sa destinée. L'abus est éternel ; le mal qu'on avait cru supprimé reparaît sur-le-champ, plus envenimé qu'avant sa suppression.
Pour le chrétien, la pauvreté, l'humilité sont des vertus ; pour le juif, ce sont des malheurs, dont il faut se défendre.
Peuple étrange, en vérité, et fait pour présenter tous les contrastes. Il a donné Dieu au mondem et il y croit à peine, Il a créé la religion, et c'est le moins religueux des peuples ; il a fondé l'espérence de l'humanité en un royaume du Ciel, et tous ses sages nous répètent qu'il ne faut pas s'occuper que de la terre. Les races les plus éclairés prennent au sérieux ce qu'il a prêché, et, lui, il en sourit, Sa vieille littérature a excité le fanatisme de toutes les nations, et il en voit mieux que personne les côtés faibles.
Cohélet, au fond, a compris tout cela et voudrait le dire. Il a l'esprit philosophiqu, mais il n'a pas de langue philosophie à sa disposition.
Aux deux ou trois endroits où l'on croirait qu'il va s'enfoncer dans le pur matérialisme, il se relève tout à coup par un accent élevé. Cette façon de philosopher est la vraie. On ne fera jamais taire les objections du matérialisme, Il n'y en a pas d'exemple qu'une pensée, un sentiment se soient produits sans cerveau ou avec un cerveau en décomposition. D'un autre côté, l'homme n'arrivera point à se persuader que sa destinée soit semblable à celle de l'animal. Même quand cela sera démontré, on ne le croiera pas. C'est ce qui doit nous rassurer à penser librement. Les croyances nécessaires sont au-dessus de toute atteinte. L'humanité ne nous écoutera que dans la mesure où nos systèmes conviendront à ses devoirs et à ses instincts.
Au milieu de l'absolue fluidité des choses, maintenons l'éternel. Sans cela, nous ne serions ni libres, ni à l'aise pour le discuter. Le lendemain du jour où l'on ne croirait plus en Dieu, les plus victimés seraient les athées. On ne philosophe jamais plus librement que quand on sait que la philosophie ne tire pas à conséquence.
Le pessimisme de nos jours y trouve sa plus fine expression. L'auteur nous apparait comme un Schopenhauer résigné, bien supérieur à celui qu'un mauvais coup du sort a fait vivre dans les tables d'hôte allemandes. Cohélet, comme nous, fait de la tristesse avec de la joie et de la joie avec la tristess ; il ne conclut pas, il se débat entre des contradictoires ; il aime la vie, tout en en voyant la vanité. Surtout, il ne pose jamais. Il ne se complaît pas dans l'effet qu'il produit ; il ne se regarde pas maudissant l'existence. Il est d'une parfaite sincérité en disant qu'il a tout trouvé frivole et creux.
Vanité des vanités.